Le carnet de nouvelles
de Christophe Farquet
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Non sans vivacité, l’assaut poétique en direction de la citadelle effrontée, bastion juvénile de cécité, fut aussitôt relancé. Donc se dessinait désormais sur la scène fantastique l’esquisse d’une jungle mirifique aux antipodes, mise sens dessus dessous par quelques marsupiaux schizopodes. L’histoire aurait pu se poursuivre à vive allure, de telle sorte que l’agitation des thériens atteignît son comble, troublant eucalyptus et acacias, cette forêt de pacotilles australes se mettant à bouger, osciller, vaciller – jusqu’à danser. On supputerait alors, dans les conditions climatiques qui sont celles du conte onirique, que la vague végétale eût touché un temps les eaux vénales de l’océan, qui, vainquant ses hésitations à rompre l’apaisement, rejoindrait la ronde enragée. Immanquablement, le suspens reposerait sur ce que l’inéluctable devînt l’inévitable. Et peut-être qu’une fois les sévices accomplis, l’onde, en murmurant, aurait endormi la lectrice, ladite n’ayant plus à scander d’un air virginal « pourquoi la terre tremble, pourquoi la mer gronde ». On s’imaginerait quel sourire l'auteur aurait fait après telle affaire, le déguisement de la bienveillance dissimulant le démiurge saluant la puissance de son triomphe.
Toutefois, inspiré, semble-t-il, par les circonflexions affectées des minuscules sourcils de sa spectatrice à chaque évocation d’un animal plus excentrique, le conteur préféra voir proliférer la ménagerie exotique. En un univers ingénieusement détraqué, des opossums-musaraignes, changés en péramélidés démesurés, couraient après des chiots de vertu s’inventant singes de montagne pour leur échapper. Mais, loin de s’arrêter à ces sauvageries sommaires, la forêt carnassière se muait maintenant en un Karkemish monstre, n’acceptant qu’en signe de reddition la destruction sans condition. Ici, un dragon phénoménal, commodore tétrarchique d’un sextuor de ptérodactyles, rugissait à la façon d’un tigre de bengale. Là, c’était une pléthore d’hannetons rangés en bataillon, prêts à repousser l’invasion de millions de scarabées bigarrés. De gargantuesques armées improvisées, titanesque mosaïque de parasites regorgeant de cruautés crânes les plus crasses, s’épuisant à fomenter d’infinis supplices pour qui serait capturé entre leurs griffes, tel était le spectacle, superbement atroce, qu’avait choisi de consacrer le règne animal à la suprématie de son arrogance âcre. Alors, l’ardente agitation aboutit aussi, après d’âpres aventures, aux accores des eaux alacres.
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